Variation des prix dans les marchés publics : comment s’en prémunir ?
Interview de Mathieu Tort, Consultant-Formateur et ancien Responsable des achats et des marchés publics de plusieurs organismes publics.
Pour CFC Formations, Mathieu TORT anime des formations en marchés publics et stratégie achats, et notamment notre formation : « Les prix : comment établir les clauses de variation de prix de vos marchés ».
CFC Formations : Face à une augmentation des charges de production des entreprises, la question du prix dans les marchés publics est-elle en train de redevenir prégnante ?
Mathieu Tort : En effet, l’instabilité et l’envolée sans précédent des prix de certaines matières premières, tout particulièrement du gaz et du pétrole, constituent une circonstance exceptionnelle de nature à affecter gravement, dans plusieurs secteurs d’activité, les conditions d’exécution des contrats, voire leur équilibre économique, et à mettre en danger la pérennité de nombreuses entreprises.
Toutefois, l’évolution de la réglementation et de l’appréciation des relations contractuelles au sein des marchés publics tend à limiter fortement l’impact du prix, en le réduisant à une formule simple appris dans mes jeunes années : le juste prix = le juste besoin. Le prix n’est que la résultante de votre achat et du besoin que vous avez exprimé. Une chaussure de marque distributeur et une chaussure de marque de luxe reste une chaussure, le prix n’est que la résultante du choix que vous avez fait en terme d’expression du besoin et de fonctionnalité.
« Le prix n’est que la résultante de votre achat et du besoin que vous avez exprimé »
Les circonstances actuelles semblent engendrer la remise en cause de la pérennité de nombreux contrats de la commande publique, comment s’en prémunir ?
Les pénuries d’approvisionnement rencontrées par les entreprises, notamment dans le secteur de la construction, peuvent entraîner dans certains cas un allongement des délais d’exécution des marchés publics mais également un renchérissement très important des coûts d’exécution qui peuvent dépasser les marges des entreprises et bouleverser temporairement l’équilibre financier des contrats.
Face à cette problématique, l’acheteur dispose de 2 séries d’instruments pouvant lui permettre de pallier à ces difficultés : l’instrument financier et l’instrument contractuel.
L’instrument financier permet, temporairement, dans un souci de continuité de l’exécution des missions de service public ou d’intérêt général, de couvrir une partie des surcoûts rencontrés par l’entreprise. Pour ce faire l’acheteur se doit, dans un premier temps, d’appliquer les exigences du code de la commande publique relatives à la révision des prix.
Le code n’impose pourtant pas aux acheteurs de prévoir une révision des prix dans tous leurs marchés…
Certes, mais le code stipule toutefois que les marchés de nature à exposer les parties à des aléas majeurs, du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations, ne peuvent être passés en prix ferme. Ainsi en est-il de tous les marchés comportant une part de matières premières significative mais pas seulement, les marchés soumis à une concurrence internationale forte (TIC) ou à des pénuries de main d’œuvre (sureté, sécurité, gardiennage) pourrait tout autant y être associés.
De plus l’analyse des anticipations financières faites par les entreprises lors de la réponse à un marché, montre que celles-ci indexent leur prix sur la présence ou pas d’une clause de variation des prix, et sur la formule et le choix des indices imposés par l’acheteur.
« L’expérience montre que les entreprises indexent leur prix sur la présence ou non d’une clause de variation des prix dans les marchés »
Pourtant, n’est-il pas interdit d’introduire une clause de révision dans un marché ?
Cette interdiction ne constitue qu’une position doctrinale de Bercy (et de l’ancien Premier ministre), il n’existe aucune interdiction règlementaire ou jurisprudentielle. Le juge administratif semble même infléchir sa position sur cette question : voir CAA Marseille, 13 décembre 2021, n° 19MA05168 sur l’erreur manifeste qui pourrait être étendu à l’absence illégale de formule ou éventuellement au choix pertinent d’indice ou encore, de manière plus générale CE, 20 décembre 2017, Société Area Impianti, n° 408562 : « la CAA a pu, sans erreur de droit, considérer que la modification des règles de détermination du prix initial ne constituait pas, par elle-même, un bouleversement de l’économie du marché ».
De plus, par les temps qui courent, il semble plus qu’improbable, qu’un juge fasse droit à un recours visant à annuler la volonté de rééquilibrer un contrat par l’introduction ou la modification d’une clause de révision.
Toutefois, dans la mise en œuvre de cette modification, l’impact financier devra être appréhendé à l’aune des limites fixées à l’A R2194 et en préservant l’équilibre économique du contrat entre son objet et sa valeur réelle. L’acheteur pourra, au-delà de cette question de la révision, utiliser les nombreuses possibilités offertes par l’A R 2194, en particulier la théorie de l’imprévision, pour maintenir l’équilibre économique du contrat (à ne pas confondre avec l’équilibre comptable et financier du contrat).
Et qu’en est-il du rôle des instruments contractuels ?
En effet, au-delà, et encore une fois, de la question du prix, ce qui prime reste la continuité de la mission de service public. Il est donc nécessaire pour l’acheteur de favoriser la continuité de l’exécution du contrat en adaptant ses besoins, les conditions d’exécution, les délais, les niveaux d’exigence aux moyens et aux capacités ponctuels du titulaire.
L’acheteur pourra, à ce titre, argumenter du fait qu’aucune tendance économique raisonnablement prévisible lors de la passation du marché ne laissait présager une fluctuation hors norme des modalités d’exécution technique et financière du marché.
« L’acheteur doit favoriser la continuité de l’exécution du contrat, en adaptant ses besoins et les niveaux d’exigence aux moyens et aux capacités ponctuels du titulaire »
Ces périodes d’incertitude et de forte variabilité n’engendrent-elles pas la nécessité d’une nouvelle réglementation relatives à ces questions ?
Il ne me semble pas opportun d’alourdir encore le corpus légal ou règlementaire, je rappelle d’ailleurs que 2 circulaires du Premier ministre (en réalité de deux premiers ministres successifs) se sont enchainées sur cette question sans que les acheteurs ou les entreprises ne soient associés à l’édiction de ces textes ni que celles-ci ne parviennent à des solutions pérennes pour tous les acteurs.
Les éléments prévus par les nouveaux CCAG dans les clauses COVID (ajournement et clause de réexamen) me semblent être un cadre suffisant pour les acheteurs et les entreprises.
Et concernant l’inquiétude parfois exprimée d’un risque de dérive de la part des entreprise, les CCAG prévoient des conditions strictes à l’utilisation de ces clauses et la nécessité pour les entreprises de justifier chacune des demandes supplémentaires (que ce soit en matière d’exécution technique ou financière). C’est donc aux établissements publics de se donner les moyens de contrôler et de négocier les demandes des entreprises.
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