Les méthodes de notation du critère prix dans les marchés publics : les recommandations de la DAJ ne sont pas toutes bonnes à prendre !
Rémi GACHON est expert en marchés publics depuis plus de 20 ans. Il a été acheteur, puis chef d’un département achats, et enfin représentant du pouvoir adjudicateur au sein du ministère des Armées. Il exerce dorénavant en tant qu’autoentrepreneur une activité de formateur / consultant dans le domaine de la commande publique.
Pour CFC Formations, Rémi GACHON conçoit et anime des formations, notamment concernant la règlementation des marchés publics et la modification des contrats en cours d’exécution.
CFC Formations : La DAJ a publié récemment une fiche technique concernant « Les méthodes de notation du critère prix dans les marchés publics ». En avez-vous prie connaissance ?
Rémi GACHON : Oui. Je piste les fiches techniques rédigées par la Directions des Affaires Juridiques (DAJ), qui sont une mine d’informations. Ces fiches sont souvent très bien rédigées, riches en informations, consolidées par les textes règlementaires et la jurisprudence. Ce sont un de mes outils de travail et je les cite souvent dans mes formations.
« Il est possible de retenir un critère de sélection des offres lié à l’organisation du candidat, sa qualification ou son expérience, les moyens humains et techniques affectés au marché. »
Sur le fond, que pensez-vous de cette fiche ?
Cette fiche donne des recommandations surprenantes !
Le premier point d’étonnement concerne la note de bas de page n°4 qui stipule : « Sont contraires au droit de la commande publique, notamment les critères de sélection suivants : la méthodologie commerciale, à l’organisation du candidat, ou encore aux moyens humains et techniques affectés au marché ». Cela était vrai dans l’ancien code des marchés publics. Un critère basé sur la qualification ou l’expérience des candidats relevait de la sélection des candidatures, et était interdit en tant que critère de sélection des offres. Le Conseil d’Etat avait validé un critère de jugement des offres reposant sur l’expérience des candidats lorsque sa prise en compte était rendue objectivement nécessaire par l’objet du marché et la nature des prestations à réaliser et n’avait pas d’effet discriminatoire (CE 2 août 2011, Parc Naturel régional des Grands Causses, req.n°348254). Cette possibilité était toutefois limitée aux seules procédures adaptées (CE 29 décembre 2006, Sté BERTELE SNC, req. n°273783, CE 8 février 2010, Commune de La Rochelle, req.n°314075).
Cela a changé avec le code des marchés publics de 2016, repris par le code de la commande publique 2018,
– qui autorise parmi les critères d’attribution, un critère lié à « l’organisation, les qualifications et l’expérience du personnel assigné à l’exécution du marché public lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d’exécution du marché public. » (article R2152-7 du CCP) ;
– qui permet à l’acheteur d’imposer aux soumissionnaires d’indiquer dans leurs offres « les noms et les qualifications professionnelles pertinentes des personnes physiques qui seront chargées de l’exécution du marché, lorsque la qualité de l’offre est évaluée sur la base du savoir-faire, de l’efficacité, de l’expérience ou de la fiabilité de l’équipe dédiée à cette exécution. » (article R2151-16 du CCP).
Il est donc possible de retenir un critère de sélection des offres lié à l’organisation du candidat, sa qualification ou son expérience, les moyens humains et techniques affectés au marché.
Arnaud Latrèche, dans un article paru sur le site AAP, considère également l’affirmation de la fiche DAJ contraire au Code de la Commande Publique.
https://www.aapasso.fr/conseils-de-la-daj-pour-la-notation-du-critere-prix/
Avez-vous noté d’autres éléments étonnants ?
Oui. La fiche présente les avantages et les inconvénients de la méthode 2 de notation du critère prix : NP = 10 – 10 (P−Pmin) ÷ (Pmax−Pmin).
Or cette dernière a été plusieurs fois sanctionnée par le juge (CAA Paris, 8 février 2016, société RJ45 Technologies, n°15PA02953 ; CE 24 mai 2017, société Techno Logistique, n°405787).
Le Conseil d’État a considéré que la méthode en cause avait pour effet “de neutraliser les deux autres critères en éliminant automatiquement l’offre la plus onéreuse, quel que soit l’écart entre son prix et celui des autres offres et alors même qu’elle aurait obtenu les meilleures notes sur les autres critères”. Elle pouvait ainsi avoir pour conséquence “d’éliminer l’offre économiquement la plus avantageuse au profit de l’offre la mieux disante sur le seul critère du prix, et ce quel que soit le nombre de candidats (…)”.
Cette méthode est donc selon moi à proscrire dans tous les cas.
La fiche présente d’autres formules de notation du prix ?
Oui, notamment la méthode 1 basé sur la formule classique NP = 10 PminP ÷ PminP. , appelée également formule proportionnelle ou formule de GRAMP, qui est très couramment utilisée par les acheteurs. Là aussi, la fiche donne quelques avantages et limites, mais ces indications sont selon moi incomplètes. Cette méthode est de plus en plus critiquée et présente de nombreux inconvénients :
Elle peut présenter un effet discriminatoire et le risque de dépôt d’une « offre de couverture », pouvant inverser le classement des offres[1].
Hélène HOEPFFNER, professeur de droit public à l’université de Toulouse 1 Capitole, indiquait dans l’article « Méthode de notation du critère prix : la liberté de l’acheteur public à l’épreuve du contrôle du juge », paru dans « Jurisprudence commentée », AJDA n°9/2015, 16 mars 2015, qu’il n’est pas évident « ni que cette méthode permette de déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, ni qu’elle soit nécessairement régulière au regard des principes généraux de la commande publique, compte tenu de ses effets sur la pondération des critères ».
Un autre article plus récent (« Marchés publics : faut-il réformer les méthodes de notation des critères d’attribution », HAL open Science, Pierre-Henri MORAND et François MARECHAL, 5 mai 2022) affirme que cette méthode possède des « propriétés indésirables » ; elle ne permet pas à l’acheteur de « révéler ses préférences et s’avère sensible à des stratégies de collusion ou de manipulation de la part des entreprises ».
La méthode tend par ailleurs à avantager les offres les plus élevées.
Mais surtout, elle ne permet pas aux soumissionnaires de déterminer, entre deux offres, laquelle est la meilleure. Elle pourrait ainsi être jugée illégale pour manquement au principe de transparence.
« Je reconnais qu’il n’existe pas de formule universelle parfaite ».
Quel type de formule recommandez-vous ?
Je reconnais qu’il n’existe pas de formule universelle parfaite : le choix de la méthode doit être effectué au cas par cas mais il existe des formules qui doivent être proscrites.
La méthode 2 citée précédemment en fait partie. La jurisprudence a identifié d’autres formules qu’il convient d’éviter.
En ce qui me concerne, je recommande les formules basées sur la méthode de la monétarisation des critères, consistant en une formule de notation linéaire du prix, fixant la valeur du point en euros, supprimant les effets indésirables cités précédemment, et ayant les avantages :
– pour l’acheteur de pondérer les critères en fonction du prix qu’il est prêt à payer pour ces critères,
– pour les candidats de leur donner toutes les informations leur permettant de déterminer leur meilleure offre.
La technique et les avantages de cette méthode ne peuvent pas être décrits en quelques lignes. Seule une formation sur le sujet permet de les présenter en détail.
[1] (Article « La question de la régularité de la méthode proportionnelle d’évaluation du critère prix », paru dans « Contrats et marchés publics – Revue mensuelle LEXINEXIS JURISCLASSEUR » en décembre 2014, rédigé par Pascal MOREAU, doctorant en droit, capitaine de police chargé d’enquêtes en matière de corruption et marchés publics).
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